Art & Culture

Le retour du théâtre itinérant en Romandie

Inspirées des troupes d’autrefois, plusieurs compagnies suisses reprennent la route pour jouer dans les villages et vallées. Une manière poétique de recréer le lien entre culture et territoire.

2025-10-17 07:02 — Chronique de Adrien Lemoine

Sur les routes sinueuses du Jura vaudois et dans les plaines du Valais, un phénomène culturel renaît : le théâtre itinérant. Après plusieurs décennies d’oubli, des compagnies suisses reprennent la route pour présenter leurs créations dans les villages, les vallées et les places publiques. Sous des chapiteaux colorés ou dans des granges aménagées, la scène retrouve son ancrage populaire et son goût du voyage.

Le mouvement s’inscrit dans une volonté de rapprocher l’art des habitants, en particulier dans les régions éloignées des grands centres culturels. Les metteurs en scène défendent une approche humaine et accessible, à contre-courant du spectacle formaté. Chaque représentation devient un événement communautaire, rassemblant jeunes et anciens autour d’un même plaisir : celui de la parole vivante.

La compagnie du Vent Libre, basée à Neuchâtel, fait partie des pionnières de ce renouveau. Avec son camion-scène, elle transporte décors, costumes et projecteurs de village en village. « Nous voulions recréer l’esprit forain du théâtre d’autrefois », explique sa fondatrice, Hélène Moret. Les spectateurs arrivent souvent à pied, une couverture sous le bras, prêts à partager une soirée d’émotions et de rires sous les étoiles.

Les textes choisis oscillent entre classiques revisités et créations contemporaines. Molière côtoie Dario Fo, tandis que des auteurs suisses émergents écrivent des pièces inspirées du quotidien local. Le mélange des genres et des générations confère à ces spectacles une énergie unique. Le public redécouvre une langue vivante, rythmée, parfois improvisée, loin du formalisme des grandes scènes.

Le succès de ces tournées itinérantes repose sur une logistique ingénieuse. Les décors sont modulables, les scènes montées en quelques heures, et les troupes fonctionnent comme de petites familles nomades. L’autonomie énergétique, assurée par des panneaux solaires ou des générateurs écologiques, permet de jouer même dans les lieux les plus isolés.

Au-delà du divertissement, ce retour du théâtre de route porte un message politique et poétique. Il rappelle que la culture peut exister hors des institutions, qu’elle appartient à tous et qu’elle se nourrit de proximité. En Romandie, certaines communes financent déjà des tournées, conscientes de l’impact social et éducatif de ces rencontres artistiques.

Les spectateurs, souvent touchés par cette simplicité retrouvée, évoquent une expérience presque magique. « On ne regarde pas seulement une pièce, on la vit », confie un habitant de Saint-Cergue. Le rire, les applaudissements et parfois les larmes créent une communion rare entre acteurs et public. Ce lien direct redonne au théâtre sa fonction originelle : celle de raconter le monde en le partageant.

Le théâtre itinérant de Romandie prouve que la modernité peut rimer avec tradition. En redonnant vie à l’art nomade, ces troupes insufflent un vent de liberté et de créativité dans le paysage culturel suisse. Leur passage laisse derrière lui un souvenir vibrant, une trace éphémère mais précieuse : celle d’un théâtre qui voyage encore, et qui rassemble.